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Encorporer les langues vivantes : reconnaître la place du corps pour enseigner et pour apprendre

dans Laboratoire Parole et Langage


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    • 2023-01-27T01:00:00Z
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    • I. ProblématiqueCet article met en contact trois chercheuses du LPL travaillant sur le corps dans l’enseignement et/ou l’apprentissage des langues vivantes dans trois ancrages théoriques différents mais complémentaires : les études gestuelles, la cognition incarnée et les sciences cognitives qui s’adossent à nos disciplines d’origine : la didactique des langues, les sciences de l’éducation et la psycholinguistique/neurolinguistique. Dans cet article, nous conversons à trois voix afin de confronter nos concepts, nos contextes, nos recherches et tentons de mettre au jour des points de contact. Nous posons la question suivante : comment nos différentes recherches convergent-elles pour montrer la place fondamentale du corps dans l’enseignement/apprentissage des langues vivantes ?II. Cadrage théorique1. Le corps : définitions en contactNos recherches appréhendent le corps de différentes manières qu’il convient de présenter à la lumière de nos ancrages théoriques. En études gestuelles, par exemple, on se focalise principalement sur les mains même si les expressions faciales, les mouvements de tête ou de sourcils peuvent être également pris en compte ainsi que les postures, le regard et l’occupation de l’espace dans la mesure où ils servent l’action pédagogique (Azaoui, 2019 ; Tellier, 2008). Ce qui importe, c’est d’appréhender les mouvements du corps dans leur rapport direct avec la parole et voir comment le geste s’articule avec celle-ci pour co-construire le sens (McNeill, 1992 ; Azaoui et Tellier, 2020) et réguler l’interaction (Bavelas et al. 1995). Ces dernières décennies, et notamment depuis les travaux fédérateurs d’Aden (2004), l’approche énactive-performative des langues (Eschenauer, 2019 ; Aden et Eschenauer, 2020) permet de mettre en œuvre le paradigme de l’énaction de Varela (Varela et al., 1992) par la performance artistique. Les travaux interdisciplinaires sur la cognition incarnée ouvrent en effet la voie à une assertion du langage reliant le corps et l’esprit (Varela, 1989a). Les chercheurs observent que les mécanismes de résonance (automatiques) et d’imitation (intentionnels) constituent des points d’appui vers l’autonomie langagière. Ces mécanismes sont sollicités par les enseignants et les artistes dans une approche holistique du langage, c’est-à-dire qui comprend la sensorialité, les émotions (niveau perceptif), la motricité (mimo-gestuelle, posture du corps, déplacements dans l’espace, articulation), les variations vocales, les regards, la mémorisation. Les apprentissages s’actualisent grâce à la prise de conscience du couplage perception-action comme processus cognitif (Varela, 1988, 1989b ; Trocmé-Fabre, 1987, 1999 ; Noë, 2006) par des activités réflexives. Ainsi, les apprentissages se réalisent toujours dans la relation à soi, à autrui et à l’environnement qui génère ce couplage perception-action. Il apparaît donc central que les activités proposées par les enseignants ne soient pas majoritairement statiques, y compris avec des élèves adolescents ou des apprenants adultes.En sciences cognitives on s’intéresse à tout le corps ainsi qu’à son interaction avec l’environnement. Afin de comprendre comment l’action et le traitement du langage s’influencent, des études ont observé les effets de la préparation motrice des actions employant les bras et les main, ou encore les jambes et les pieds, sur la compréhension de verbes ou de phrases d’actions (Boulenger et al., 2006 ; Zappa et al., 2019). La relation entre les expériences vécues par tout le corps et nos représentations conceptuelles est centrale pour ces travaux. Afin de mieux la comprendre, nombreuses études portent sur le rôle du corps dans le traitement et dans l’apprentissage du langage (de Vega, Moreno, Castillo, 2013 ; Fargier et al., 2012 ; Zappa et al., en cours). Il est à noter que dans le cadre de la cognition incarnée, un lien fort entre traitement du langage et activation motrice a été mis en évidence (Pulvermüller et al., 2005). 2. Corps propre et corps d’autrui, corps dans les interactions langagièresDes études ont montré le lien entre les compétences d’empathie et la capacité à passer d’un registre langagier à un autre (Aden, 2010 ; Eschenauer, 2014, 2018). En effet, il semblerait que plus un sujet développe ses capacités à entrer en empathie, plus il navigue aisément entre son répertoire langagier corporel et verbal, et inversement (Eschenauer, 2017). Or, la compétence d’empathie est complexe : elle se définit comme la capacité à se mettre à la place d’autrui tout en ayant conscience de soi (Decety, 2010 ; Thirioux et Berthoz, 2010). Cette distinction soi-autrui est spatio-temporelle, kinesthésique, sensorielle, émotionnelle, mentale. Tout observateur recrute par exemple son propre répertoire moteur pour comprendre les intentions d’autrui (Rizzolatti et al., 1996 ; Gallagher, 2011). La prise de conscience de cette stratégie corporelle s’avère très utile pour l’apprenant de langues, en particulier lorsque le lexique lui fait encore défaut (Eschenauer, 2020). La littératie émotionnelle (Chisholm et Strayer, 1995) ou l’expérience esthétique (Vischer, 1873) sont également des composantes de l’empathie permettant l’accès au sens des interactions langagières. Ces résultats résonnent avec certains travaux en études gestuelles sur l’adaptation en fonction de l’interlocuteur. Ainsi, dans l’interaction exolingue (avec un non natif), de futurs enseignants produisent des gestes plus fréquents, plus illustratifs, plus grands et plus longs en durée qu’avec un partenaire natif pour faciliter la compréhension du discours (Tellier, Stam et Ghio, à paraître).III. Approches méthodologiquesNous situerons dans un second temps nos recherches d’un point de vue de nos différentes méthodologies. Dans l’approche écologique, on s’appuie sur des films de classe pour décrire et analyser qualitativement le fonctionnement de la gestuelle pédagogique, son articulation avec la parole et ses fonctions (Azaoui, 2019 ; Pavlovskaya, en cours ; Tellier, 2008). Dans l’approche semi-contrôlée, on recueille les productions des locuteurs suivant les mêmes consignes et en contrôlant quelques variables comme les conditions de passation ou les participants, observés d’après la méthodologie phénoménologique en première, seconde et troisième personne (Depraz, 2014). Les perceptions du sujet (données du « je ») sont alors prises en compte et triangulées avec celles de la seconde personne, dans laquelle le chercheur questionne le sujet en « tu » ou les sujets s’interrogent entre eux en « tu » ; la 3e personne correspond aux observations du sujet par d’autres personnes (par exemple : l’enseignant parle d’un élève en « il/elle »). Ainsi, les données subjectives peuvent être objectivées (Eschenauer, 2017, 2020). Dans une approche expérimentale, les variables sont plus contrôlées tout comme les conditions d’expérimentation et les stimuli. En psycholinguistique et en neurolinguistique notamment, on utilise des mesures telles que le temps de réaction, les mouvements oculaires, ou encore des mesures cérébrales avec l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), la magnétoencéphalographie (MEG) ou encore l’électroencéphalographie (EEG) pour mieux comprendre la relation entre le corps et le traitement du langage. Par exemple, on peut mesurer l’activation motrice dans le cerveau par le moyen d’un casque EEG alors que des participants entendent des verbes d’action, avant de préparer une action sur un objet virtuel, dans un environnement virtuel contrôlé (Zappa et al., 2019).Nous défendrons dans cet article une vision circulaire de ces approches méthodologiques et leur complémentarité. Par exemple, on peut opter pour un protocole mixte intégrant en plus des mesures qualitatives des tests quantitatifs psychométriques comme le test d’empathie Interpersonal Reactivity Index (IRI) (Davis, 1980) pour comparer des données sur un sujet avec l’ensemble d’une population du même âge (Eschenauer, 2018). Pour contrôler davantage encore, les mesures déclaratives peuvent être triangulées avec des mesures physiologiques (EEG spontané, Fréquence cardiaque (FC), activité électro-dermale (AED)) comme pour le protocole de l’étude en cours CELaViE.Pour conclure, bien qu’ancrées dans des cadrages théoriques différents et s’appuyant sur méthodologies scientifiques multiples, nos recherches apportent des éclairages complémentaires sur un même objet d’étude : la fonction essentielle du corps dans l’enseignement/apprentissage des langues étrangères. Cette synthèse de nos travaux réalisés indépendamment est également l’occasion de créer une communauté de recherche pour ouvrir de nouvelles pistes d’études basées sur des dispositifs méthodologiques hybrides (qualitatifs et quantitatifs) comme l’étude pilote « Créativité, Empathie et apprentissage des Langues Vivantes à l’Ecole en milieu ordinaire » sur les effets d’un enseignement performatif des langues (CeLaVie) ou un projet sur l’aménagement flexible dans les classes pour redonner une place au corps dans les apprentissages, notamment de langues vivantes (AFLEX).
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