«(Joseph Czapski) n'a jamais cessé d'être un observateur passionné du monde. Ses méthodes de création changent. Ce qui reste immuable dans le changement, c'est la personnalité de l'artiste, du peintre, de l'écrivain, du soldat, du militant, témoin extraordinaire de son siècle.

Qu'est-ce que cela veut dire, "témoin extraordinaire" ? Est-ce la richesse des événements observés qui en décide ? Leur originalité ? Ou leur caractère général, c'est-à-dire commun ? Ou peut-être le point d'observation ? Sa variation ? La profondeur de la réflexion ? Les distances prises avec les événements ? Dans le cas de Joseph Czapski, tous ces éléments s'enchevêtrent d'une manière étonnante. A plusieurs reprises il a été témoin d'événements d'une importance historique pour la Pologne, et pas seulement pour la Pologne. Mais, dirait-on, un témoin involontaire. Est-ce parce qu'une force plus haute que la volonté individuelle le guidait ou parce que ses yeux avaient trop vu, en tout cas, jamais il n'a succombé à l'atonie (...)

Dans ce qu'il écrit sur l'art, il est tout à fait original. A mon avis, parmi les contemporains, personne n'atteint sa liberté ni la force de son regard. Je connais deux écrivains du passé, totalement différents de Czapski par leur style, leur tempérament et leur optique, qui ont écrit sur l'art ancien. Ils ont créé eux aussi des œuvres qui ne se laissent comparer à rien et qui sont le plus parfait accomplissement du genre littéraire qu'ils ont créé. Le premier, estimé en France mais, à mon avis, pas à la mesure de son génie, est Eugène Fromentin, l'auteur des Maîtres d'autrefois. L'autre est Pavel Mouratov (1881-1950), historien de l'art russe, l'auteur des Images d'Italie. En 1995, j'ai parlé avec Jossif Brodski des grands essayistes qu'il considérait comme les maîtres du genre, ses maîtres à lui (je ne savais pas que ce serait notre dernière rencontre), et lorsque j'ai mentionné Mouratov, il s'est exclamé : "C'était un génie !"

Je ne saurais mieux définir Czapski.»

Wojciech Karpinski