Voici plus de quarante ans que d'opiniâtres kyrnologues se font les chantres de l'authenticité insulaire - une authenticité selon eux dévoyée par l'acculturation française, galvaudée par les mutations sociétales des temps modernes. Ainsi s'est imposé, dans le langage ordinaire, le terme de corsitude, chargé de cristalliser le paradigme d'un être-au-monde en voie de dépérissement, sinon d'extinction.

Dès 1972, pourtant - trois années avant les événements d'Aleria - le grand philosophe béninois Stanislas Adotevi, mettait à mal le principe de ces enfermements ontologiques. Le concept de négritude, forgé durant les années trente par Senghor et d'autres militants nationalistes à partir des présupposés de l'ethnologie coloniale, avait pu se prévaloir d'une dimension émancipatrice, à l'heure des combats pour l'indépendance. Mais, dénonçait-il, tous les thuriféraires de l'« « âme noire », une fois au pouvoir, s'empressèrent d'utiliser cette approche fantasmatique de l'Afrique pour asseoir et pérenniser leur autorité politique.

La réédition de Négritude et Négrologues est l'occasion de questionner nos paresseuses vulgates. De déconstruire les figures imposées de l'identité. Et de congédier toute parcelle d'être dans l'existence. Car, pour paraphraser une célèbre formule d'Adotevi, la corsitude est un opium, c'est la manière française d'être corse.

François de Negroni