Issu d’une enquête de terrain sur le travail des chercheurs de l’Inventaire du patrimoine, cet article a pour objet les « cadres sociaux du regard » patrimonial. Il décrit aussi minutieusement que possible, tout d’abord, les formes variées que prend le « travail du regard » d’un spécialiste. Dans un second temps, il retrace les modalités du passage de la vision à la représentation, en sériant les différentes procédures d’inscription (localisation cartographique, description scripturale, datation, informatisation) par lesquelles ces spécialistes passent de leur appréhension visuelle individuelle, sur le terrain, à une mise en forme standardisée, sous forme de dossiers accessibles à un nombre indéterminé de destinataires potentiels. Le « savoir-voir » constitué par l’expérience incorporée des spécialistes peut alors se transmettre à d’autres, des plus savants aux plus profanes, grâce à la médiation des mots, des images, des chiffres. Ainsi se construit un « regard » – au sens d’expertise visuelle – non plus individuel, incorporé et éphémère, mais collectif, médiatisé et durable.