Dans la vaste littérature sur la « question paysanne », l’un de ses aspects essentiels reste négligé : comment l’élite imaginait le paysan libéré idéal. Que pouvait devenir un ancien serf : un producteur dans un marché rationnel, un conservateur de valeurs et traditions historiques, ou un petit propriétaire résistant aux idées révolutionnaires ? Quelles notions et stéréotypes influençaient cette vision ? Cet article examine l’impact des diverses doctrines idéologiques sur le concept de la « voie spécifique de la Russie », du servage à la modernité. Il existe deux points de vue différents sur l’homo rusticus propre à l’Europe orientale et à la Russie d’avant la réforme. Le premier voit un paysan rationnel, assujetti à toutes les lois économiques, naturelles et universelles ; l’autre, romantique, s’appuie sur sa simplicité patriarcale et les anciennes « racines » culturelles. La combinaison contradictoire de ces visions a généré bien des mythes et symboles dans l’émancipation paysanne.