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Godard et Gorin, marxistes « tendance Groucho »

dans Association française des enseignants et chercheurs en cinéma et audiovisuel

Auteur(s) : Jaudon, Raphaël

  • Éditeur(s)
  • Date
    • 2017-06-01T02:00:00Z
  • Notes
    • Parmi les films du groupe Dziga Vertov, collectif marxiste-léniniste dirigé par Jean-Luc Godard et Jean-Pierre Gorin entre 1967 et 1973, il en existe deux qui échappent naturellement à l’accusation d’austérité qui vient habituellement s’attacher aux productions du cinéma militant. Il s’agit de Vladimir et Rosa (1970) et de Tout va bien (1972). Si ces films méritent de retenir notre attention, c’est qu’ils font le pari d’une puissance subversive du comique sans pour autant dissimuler leurs influences politiques radicales ou leur goût pour la théorie. Une scène hétérogène sur laquelle se côtoient les contraires : rire populaire et théorie de la lutte des classes, gestuelle burlesque à l’américaine et radicalité des figures expérimentales, Karl Marx et les Marx Brothers. Si le passage au registre comique a considérablement opacifié la réception de ces deux films, c’est qu’il coïncide avec une certaine réévaluation de l’idée même de cinéma politique. Prenant conscience de la difficulté qu’il y a à concilier des images et des concepts, Godard et Gorin abandonnent le point de vue surplombant que leur offrait la théorie pour plonger dans la matérialité et dans l’humanité des luttes. Ils évitent ainsi l’écueil majeur du cinéma militant de leur époque : le didactisme, qui suffit en général à couper totalement les films de leur public cible. L’humour est un langage qui passe pour être plus naturel aux oreilles de la classe populaire, mais il correspond surtout à une modalité bien précise du discours, propice à imposer une relation plus équitable entre l’auteur et le spectateur. À travers leur réappropriation marxiste de la tradition burlesque (représentation des cinéastes en idiots, déguisements, sketchs, utilisation d’accents régionaux, gestuelle extravagante, humour absurde, etc.), Godard et Gorin travaillent ainsi à transformer leur pratique du cinéma au nom d’un principe d’autodérision qui n’oublie pas ses racines marxistes. Sur le plan figuratif, l’humour pourrait bien être l’instrument par excellence de cette politique du cinéma qui déjoue la puissance des forts et institue la compétence des faibles, en humanisant les premiers et en offrant aux seconds le corps qui leur était refusé dans l’ordre social. Car l’idée d’être marxiste « tendance Groucho » n’est pas simplement un célèbre trait d’esprit de Mai 68, c’est aussi la formule d’un programme esthétique ambitieux : celui d’un cinéma parfaitement démocratique, dans son discours comme dans ses formes.
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    • Français
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    • https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/
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