L’événement majeur de la fin du xxe siècle dans les Balkans, la guerre civile en ex-Yougoslavie (1991-1995), marque un changement sans précédent dans la réception de la littérature serbe en France. Contrainte d’agir dans l’urgence et sous la pression médiatique, la critique française sera vite confrontée à cette question : peut-on parler de la littérature en temps de guerre sans franchir la ligne rouge qui sépare l’esthétique de la politique ? Les exemples analysés dans cette étude qui se rapporte à l’accueil des livres de Milorad Pavić, Dobrica Ćosić, Vidosav Stevanović et Ivo Andrić, démontrent clairement que la réponse ne pouvait pas être affirmative car le prisme à travers lequel furent lus les auteurs serbes, prisme déformé par « l’explosion » médiatique du conflit yougoslave, comportait en soi le risque de piéger la critique, de la conduire à la dérive. Ils montrent aussi que certains critiques ont largement franchi la ligne fatidique qui sépare fiction et réalité : au nom d’une « juste cause », vraie ou fausse peu importe, ceux-ci sont allés chercher, dans des œuvres littéraires, des arguments pour étayer leurs idées politiques.