On pense souvent que le journalisme nuit à la littérature. Des écrivains aussi célébrés que Flaubert, Goncourt, voire Maupassant, pour ne parler que de romanciers, ont contribué au XIXème siècle à développer cette idée, entretenue depuis par l'histoire littéraire. Cet ouvrage a pour but de prouver le contraire. C'est l'école du journalisme qui a permis à Jules Vallès, par exemple, de devenir le romancier dont l'écriture est encore si moderne. Il fut l'un des seuls écrivains à défendre le journalisme à une époque où l'on avait tendance à délégitimer ses codes et son écriture dans le champ littéraire. Mais surtout, il s'en est servi, paradoxalement, pour écrire sa trilogie, un roman autobiographique des plus innovateurs pour son temps. Il y a gagné des techniques, comme celle du jeu de l'autocitation des articles dans le roman, qui favorise le dédoublement du narrateur ; a souvent fait dialoguer journal et roman autour des mêmes événements de sa vie dans une constante relance du texte autobiographique, dont il souligne l'inachèvement ; il a aussi utilisé le roman populaire, autre manifestation de la Presse du temps, en parodiant, pervertissant ses codes, en débusquant le lecteur de roman-feuilleton qui était en lui au moment où il écrivait sa trilogie. Et ce roman du souvenir qui le hanta longtemps, ce fut encore le journal qui lui permit de mieux le définir lorsque, jeune critique littéraire, il consacra à ce genre les plus belles de ses pages théoriques. Enfin, du journal, Vallès tire la plus intéressante de ses innovations : l'importance accordée à la participation du destinataire dans la constitution du sens de son texte. Il réalise ainsi un pacte de lecture autobiographique des plus neufs qui emprunte au journalisme le rapport narrateur-narrataire sur lequel cette écriture sérielle se fonde. Cet ouvrage essaie donc de démontrer qu'on ne saurait séparer en Vallès l'écrivain du journal et l'écrivain littéraire : le lien entre les deux est intérieur, dynamique et profond.