Hippolyte et Les Juifves sont les miroirs d'une époque déchirée par les guerres de religion. Ces deux tragédies font écho aux préoccupations politiques contemporaines de la cour (mariages royaux ou virage dévôt d'Henri III), et Robert Garnier y mesure la précarité de la civilisation et de l'organisation hiérarchique à laquelle il est attaché. Une faute royale ouvre la voie à une sauvagerie qui conduira des innocents à la mort ou un peuple à l'asservissement. Si le sort des victimes appelle la compassion, c'est autour du roi fautif que le conservateur Garnier construit ses pièces, interrogeant la responsabilité du chef et la solidarité morale ambiguë qui le relie à ses sujets afin de préserver du moins la confiance en une Providence qui ne massacrerait pas aveuglément les innocents.

Pour soutenir cette interrogation morale, politique et théologique, Garnier accentue le caractère didactique de la tragédie humaniste, genre qui repose sur l'efficacité pathétique de la parole plus que sur la représentation de l'action. L'illusion théâtrale fondamentale consiste à persuader le spectateur que les personnages lui parlent, qu'ils commentent pour lui l'action ou cherchent à la mettre sous ses yeux par la magie d'un récit déployant tous les pouvoirs de la rhétorique. Sur ce fond, le spectacle se déroule comme une succession de tableaux discontinus qui théâtralisent les enjeux et les conflits de l'intrigue.

Ce volume analyse différents aspects de cette dramaturgie qui associe distanciation et illusion, en vue d'un spectacle didactique cherchant à rendre compte des catastrophes de l'Histoire et des aberrations du sort.