Le Morlaisien Jean-Louis Le Loutre ne fut pas un abbé comme les autres : déclaré hors-la-loi par les Britanniques, sa tête fut mise à prix. Il dut momentanément jeter le froc aux orties ! Connu au Canada où son action fait toujours l'objet de controverses, il demeure méconnu en France et en Bretagne, sa région d'origine.

Comment expliquer cet oubli : méconnaissance de sa vie ou plutôt volonté de ne pas transgresser un tabou ?

Le Loutre, face aux Anglais, n'hésita pas à troquer l'habit de missionnaire pour celui de coureur des bois, de batteur d'estrade. "Général" des Indiens micmacs spécialisés dans le harcèlement des Anglais, soldat du roi, homme de Dieu.

Il fut tout cela à la fois.

C'est tout le mérite du Morlaisien Jean Ségalen d'appréhender ce diable d'homme en toute objectivité et sans trop de passion !

Les Bretons ont toujours été attirés par le Nouveau Monde. Il est établi que, bien avant les trois voyages du Malouin Jacques Cartier (de 1534 à 1541), les pêcheurs de morue bretons, venus des nombreux ports de la côte nord, hantaient déjà, en compagnie de leurs collègues basques et normands, les parages de Terre-Neuve ; la charte de l'abbaye de Beauport de 1514 l'atteste.

Certains aventuriers nous ont d'ailleurs laissé la relation de leur voyage ; ce sont d'abord les récits techniques, sans fioritures inutiles de Jacques Cartier qui reconnut le Saint-Laurent jusqu'à l'actuel Montréal ; l'autobiographie, en vers bretons, des Avanturio du Guingampais Conan qui raconte les péripéties de sa campagne de pêche à Terre-Neuve de 1787 et ses démêlés avec les Indiens ; les aventures ramenées de son voyage américain de 1791 par François-René de Chateaubriand et ses récits romanesques : Atala, René, Les Natchez.

Dès le début, les religieux jouèrent un rôle capital dans l'exploration du Nouveau Monde, la colonisation et la conversion des "sauvages".

C'est précisément ce à quoi va s'employer l'abbé morlaisien Le Loutre lorsque, après sept années d'études au séminaire du Saint-Esprit à Paris, il décide, en 1737, d'entrer dans la Société des Missions Etrangères qui l'affecte en Acadie au Canada, menacée par les appétits anglais. Mais les événements et sa forte personnalité vont donner une autre tournure à sa mission, on ne peut plus chrétienne au départ ; bien vite ce curé de choc va jouer un rôle politique et militaire en organisant la résistance des Français acadiens et en excitant les Indiens micmacs contre les Anglais ; ce faisant, il appliquait à la lettre les directives des autorités françaises. On connaît la suite : le monarque ne jugea pas utile de défendre plus avant les possessions françaises du Canada, ces quelques arpents de neige dont il ne voyait pas l'intérêt ; les Acadiens furent battus, chassés de chez eux, ce fut le grand dérangement de 1755 qui faillit disperser à jamais le peuple acadien. L'abbé Le Loutre eut-il une part de responsabilité dans l'acharnement des Britanniques contre ces malheureux colons ? Aujourd'hui, le personnage ne laisse pas indifférents les descendants des Acadiens, du Nouveau-Brunswick et d'ailleurs. En Bretagne, et plus particulièrement à Morlaix, sa ville natale, l'action de cet homme courageux et dévoué est totalement inconnue ; l'étude minutieuse et érudite de Jean Ségalen, fruit de plusieurs années de recherches en archives et des nombreux contacts qu'il a noués avec les Acadiens actuels, devrait faire sortir de l'oubli cette personnalité complexe et attachante, bien que controversée outre-Atlantique. Elle devrait rappeler que le destin des Acadiens est inséparable de l'histoire des ports bretons (Brest, Saint-Malo, Nantes, Belle-lle) par où ils ont transité.

Skol Vreizh, mis Meurzh 2002