L'expression «l'art et la manière » est commune. Elle signifie un certain savoir-faire. Ici, elle est à prendre à la lettre. Il s'agit, en effet, à la fois de l'art - qui inclut la littérature - et de la manière. De l'art comme problème, et de la manière comme concept.
Les relations qu'entretiennent ces deux notions ne se réduisent pas à la seule question, technique, de la maniera des peintres, ni à celle, esthétique, de ce mouvement plastique que les historiens d'art nomment maniérisme.
L'examen des discours qui, depuis quatre siècles, les ont mises en système montre que ces notions ont généré un mouvement de conceptualisation capable de penser spécifiquement les relations entre individu et société. À ce titre, manière n'est pas un synonyme de façon, mot général désignant une modalité de procès, artistique ou non. Il désigne ce concept anthropologique par lequel les moralistes, les philosophes, les écrivains et les théoriciens de l'art ont tenté de penser le poétique, l'artistique, l'éthique et le politique.
Le propos de ce livre n'est done pas l'étude des manières artistiques singulières, mais l'examen de cet événement, où une manière singulière devient, en même temps qu'elle-même, une manière collective. Au sens où l'homme, dans ses œuvres, s'invente collectivement en une aventure qui a cette particularité d'être à la fois innommable et dicible infiniment De là le lien qui unit historiquement la manière à un autre concept : le jene-sais-quoi. Celui des mystiques et celui des philosophes.
Il s'agit donc moins, ici, de rendre son efficience à une notion devenue un non-cencept, que de reprendre et réexaminer, pour notre époque, les questions qu'elle posait à partir de l'art, et qui ont disparu avec les réponses irrationalistes et subjectivistes qu'elles avaient suscitées.