Pourquoi étudier l'écriture de Malebranche ? C'est rompre un silence qui persiste en dépit de l'intérêt croissant qui se manifeste pour l'écriture de la philosophie. C'est surtout faire fi de l'interdit énoncé par Malebranche lui-même : ne point s'attarder à son écriture puisqu'elle n'est que « l'écorce des choses », propre à n'intéresser que les « esprits superficiels »...
Non seulement étudier l'écriture de la philosophie est susceptible de renouveler l'approche de cette discipline, mais en outre Malebranche est l'homme d'un singulier paradoxe : ce farouche contempteur de la rhétorique et du souci littéraire est aussi l'une des plumes les plus sûres de son siècle et un rhéteur consommé.
Cependant le paradoxe n'est qu'apparent. Car il faut faire toute sa place à la conviction du philosophe chrétien qu'il n'est d'autre maître de vérité que le « Maître intérieur » et, ce faisant, déceler la nature indissociablement philosophique et apologétique de son projet. Ainsi, s'il n'échoit pas au philosophe de dire le vrai, il lui revient d'engager son lecteur à écouter la Parole intime du Maître intérieur, d'être « cause occasionnelle » de la reconnaissance par chacun de la Présence qui l'habite et le fonde. Et pour ce faire, si elle est tout entière ordonnée à la conversion du lecteur, l'écriture a son prix. Il faut risquer les signes. D'où le véritable pari littéraire du philosophe que des analyses menées au plus près des textes font apparaître - analyses conduites dans le souci constant de fédérer les dimensions philosophique, rhétorique, apologétique et littéraire d'une oeuvre dont le Grand Arnauld déplorait la séduction et la puissance d'éblouissement.