Le discours de Poutine

Métamorphoses et continuité

À la suite de la crise en Ukraine, l'image de Poutine dans l'opinion occidentale semble s'être cristallisée. Il est un autocrate qui impose sa volonté arbitraire à une population subjuguée par sa propagande, un extrémiste sous l'influence des courants nationaux-populistes, et un aventuriste animé par des ambitions impériales. L'objet de cet essai est d'essayer de montrer que, sur un thème central chez lui et dans les débats idéologiques et politiques en Russie, - le modèle de développement et le processus de modernisation -, son discours ne concorde pas avec cette image. Son langage est celui d'un opportuniste qui ne cesse de louvoyer face aux pressions contradictoires de forces en opposition violente depuis la chute de l'URSS. S'il puise abondamment dans le répertoire des courants nationaux-populistes, il ne cesse d'affirmer son hostilité à leur modèle autarcique et rejette leurs appels à faire table rase de l'héritage des années 90. S'il fait de la politique symbolique et de la reconquête du statut de grande puissance l'instrument privilégié de légitimation de son pouvoir, son discours n'exprime pas l'obsession d'une reconstitution de l'empire. Hanté par la crainte de dislocation du corps social, il joue de la nostalgie d'un grand passé et d'un grand Etat qui demeure dans l'opinion le plus puissant facteur d'unité.