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Regarder au-delà des élections : l’historicité complexe de la participation politique dans la Libye contemporaine

dans CNRS Éditions


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    • 2023-01-13T01:00:00Z
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    • Au lendemain de la chute du régime Kadhafi, lorsque le Conseil national de transition soutenu par l’OTAN a proclamé le début de la transition du pays dans l’aout 2011, une inquiétude croissante s’est manifestée quant à la future configuration institutionnelle de la Libye et à la nécessité de désigner de nouvelles autorités par des élections. Depuis lors, les élections ont été considérées par de nombreux chercheur.e.s internationaux comme des critères permettant de mesurer les progrès du changement de régime en Libye et de statuer sur l’(im)possibilité de la démocratie et l’incapacité de la société libyenne à mettre en place des modes de gouvernance institutionnalisés. Plusieurs études critiques ont abordé le changement politique en Afrique du Nord et au Moyen-Orient après 2011 en déplaçant l’attention des institutions et de la compréhension procédurale de la praxis démocratique au plus près de la société et de ses transformations structurales, en soulignant le rôle des mobilisations populaires visant à remettre en question les décisions de la classe dirigeante, à articuler des demandes politiques alternatives à celles articulées par les autorités intérimaires, ou encore à rejeter des élections considérées comme des simples outils de la « mise en scène de la démocratie » (Benzenine, 2020 ; Gana et Van Hamme, 2020). Cependant, rarement ces perspectives ont été appliquées à l’analyse de la Libye d’après-Kadhafi, où l’acquisition axiomatique de l’existence d’un lien positif entre les élections et la transition démocratique a occulté les potentialités d’un débat englobant toutes les politiques du devenir qui se déroulent même à travers des mobilisations politiques qui échappent et souvent contestent la dynamique électorale. Le choix de l’élection comme la priorité absolue de la Libye post-Kadhafi et le moyen de mettre fin aux rivalités entre les autorités intérimaires, pourtant, n’a jamais été interrogé de façon critique. Dans ces lectures, l’abstentionnisme ou la pratique de délégitimation des autorités élues ont été attribués au manque de la part des citoyens libyens de culture politique démocratique et de la connaissance des instruments institutionnels tant au niveau individuel que collectif, après quelques 42 ans de dictature.Notre contribution soutient qu’il est nécessaire de se départir de ces conceptions normatives du politique en général pour formuler un autre regard et débattre des formes alternatives de gouvernance délibérative. Nous proposons de renverser la perspective transitologique qui se penche sur l’absence, le report ou l’inefficacité des élections libyennes pour expliquer l’obstacle à l’émergence d’un État démocratique. C’est le manque de canaux efficaces pour promouvoir un débat véritablement inclusif sur la Libye postrévolutionnaire qui entrave la possibilité d’achever le processus de révolution d’un système de pouvoir oppressif, excluant et corrompu initié par le soulèvement du 17 février 2011. Afin d’éclairer le scénario politique actuel, nous proposons ici de reconsidérer le politique par le bas, là où les seules perturbations à l’ordre du modèle néo-libéral ont été détectés jusqu’à présent – et donc désignées par les termes de « chaos », « d’absence d’État » ou de « culture politique ». En adoptant une approche qui se veut centrée sur les stratégies et pratiques de renégociation du politique par les Libyen.ne.s, et raisonnant donc en termes de politique du devenir plutôt qu’en termes de politique de la transition (Dakhlia, 2016), cette analyse requiert de reconsidérer les expériences historiques d’expérimentations politiques et mobilisations sociales qui ont caractérisée le pays dans la longue durée comme des précédents utiles à mieux saisir les formes actuelles d’engagement politique aux niveaux individuelle et collective.Pour faire cela, nous nous inspirons de l’historiographie sur la Libye moderne, afin de donner une perspective diachronique au débat sur les pratiques multiformes de participation, de légitimation et de délibération politiques dans le pays, au-delà du modèle néolibéral de démocratie. L’enjeu est d’interroger les raisons pour lesquelles les organes représentatifs transitoires de la Libye ne se sont simplement pas effondrés au lendemain des premières élections de juillet 2012 mais, au contraire, ont essaimés en centres de pouvoir rivaux ainsi que, dans certains cas, en institutions fantômes, tout en donnant naissance à des organes locales plus efficaces au niveau infranational. La perspective historique montre, en effet, que ces stratégies de mobilisation conflictuelle témoignent non pas du refus des procédures démocratiques, mais plutôt de la partialité des procédures de représentation des autorités transitoires. Les formes actuelles de mobilisation individuelle et collective, alternatives et même opposées à la démocratie électorale, peuvent constituer des moyens de participer au processus d’articulation d’imaginaires radicalement nouveaux pour les présents de la Libye post-Kadhafi. Ils ne représentent pas non plus la résurgence de conflits prétendument inhérents à la société libyenne labélisée selon certaines expressions orientalistes comme « traditionnelle », incapable de toute forme de capacité d’organisation politique, caractérisée par « l’anarchie », le « désordre » ou « l’immaturité politique ». Elles témoignent plutôt du refus stratégique par certain.e.s citoyen.ne.s, associations, et organisations des représentants intérimaires perçus comme incapables de fournir des formes significatives de représentation politique. Ces revendications constituent des manières de pratiquer la démocratie en abordant la question de la représentation « autrement », ce qui fait écho à d’autres phases de l’histoire du pays.
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