• Aide
  • Eurêkoi Eurêkoi

Article

Cadre législatif et production de briques rouges à Khartoum (Soudan) : entre protection de l’environnement et stratégies d’aménagement des espaces urbains centraux

dans IFRA-Nairobi


  • Éditeur(s)
  • Date
    • 2024-06-13T02:00:00Z
  • Notes
    • Dans un contexte de croissance démographique de la capitale soudanaise et d’explosion du secteur de la construction au début des années 2000, le nombre de briqueteries artisanales a rapidement augmenté dans l’agglomération de Khartoum, en passant de 1 750 ateliers en 1995 à 3 450 en 2005, dont 2 000 à Khartoum. Malgré la production massive de ce matériau et son utilisation répandue dans toute la capitale, divers acteurs se sont retrouvés sur la critique des conséquences environnementales de cette activité économique (pollution de l’air et du sol, déforestation causée par l’usage de bois comme combustible, utilisation de terres fertiles sur les berges du Nil…).Du Haut Conseil pour l’environnement à UN Habitat, en passant par des instituts de recherche de l’Université de Khartoum et par le gouvernement de l’État de Khartoum, un consensus apparaît autour de la nécessité d’une fermeture des briqueteries. Ce consensus repose sur des analyses techniques et sanitaires démontrant la nocivité de cette activité sur son environnement, mais aussi sur des textes législatifs.L’article revient d’abord sur les conditions de la production de ces briques rouges (localisation des ateliers, différentes étapes de l’extraction de la ressource naturelle à la commercialisation du matériau…), ainsi que sur les différentes formes de pollution qui y sont associées par de nombreux acteurs universitaires et institutionnels. Ces dommages environnementaux comprennent à la fois l’émission de CO2, la dégradation de terres fertiles sur les berges du Nil et la réduction de la couverture forestière liée à l’utilisation du bois comme combustible. Toutefois, il s’agit dans cet article de proposer une lecture critique de ces analyses scientifiques et de les remettre en perspective par rapport à d’autres sources.Je m’appuie pour cela sur deux enquêtes de terrain, effectuées entre février et avril 2020 et en avril 2021, mais aussi sur l’analyse détaillée de deux types de documents législatifs : la « Loi de protection et d’amélioration de l’environnement dans l’État de Khartoum » (2008) et onze décrets promulgués par l’État de Khartoum à propos de la fermeture des briqueteries (2010-2018). La première est disponible en ligne (http://www.envkh.gov.sd/pdf/law.pdf), tandis que les décrets ont été recueillis directement au siège de l’État de Khartoum, sans avoir pu les photocopier ni les photographier.Ces deux textes montrent avant tout que la question des briqueteries est considérée comme un enjeu environnemental et sanitaire. Si la loi de 2008 ne fait que préciser les taxes auxquelles sont soumis les propriétaires, les différents décrets appellent à la fermeture complète de ces ateliers et à leur relocalisation en dehors des espaces urbains. Ils justifient cela par la nécessité de préserver le milieu naturel de ces « nuisances et phénomènes négatifs » (التشوهات والمظاهر السلبية) et de protéger la population face aux « dommages sanitaires causés par l’industrie de la brique » (الأضرار الصحية الناجمة من صناعة الطوب). Ce cadre législatif est ensuite confronté avec d’autres types de sources (articles de presse, mémoires universitaires, rapports divers), ce qui permet de montrer la construction d’une parole institutionnelle consensuelle.De nombreux mémoires universitaires cherchent à démontrer les conséquences négatives de la production de briques rouges sur l’environnement, tandis que plusieurs rapports d’institutions internationales telles qu’UN Habitat et l’Agence britannique pour l’aide au développement s’alignent également sur cette critique des briqueteries. Une même vision circule ainsi entre les multiples acteurs impliqués, une parole institutionnelle unique émerge de ces différentes sources.Pourtant, il s’agit de remettre en perspective l’émergence de ces critiques, qui s’appuient, certes, sur un savoir environnemental technique, mais aussi sur une certaine conception des espaces urbains. Cet accent mis sur la nécessaire protection de l’environnement est en effet au cœur d’objectifs de durabilité définis par des institutions internationales et réappropriés par les acteurs soudanais. La production artisanale de briques rouges, perçue comme étant archaïque et polluante, ne correspond pas à l’idéal d’une ville moderne et respectueuse de l’environnement.Cet argument environnemental apparaît toutefois comme étant un trompe-l’œil. Il semble mobilisé pour justifier des politiques d’aménagement, telles que la construction de la corniche du Nil ou du pont Manshiya. Les campagnes d’évacuation des briqueteries menées dans les années 2010, suite à la publication des différents décrets, sont à replacer dans le contexte plus large des restructurations urbaines en cours au même moment à Khartoum. Elles répondent à des convoitises foncières croissantes pour les berges du Nil, où se situent les briqueteries. La fermeture des briqueteries entre ainsi dans une stratégie de mise en avant d’espaces verts préservés, d’embellissement de la ville et d’attraction des capitaux étrangers. L’afflux de ces investissements conduit à une concentration de services, d’activités à haute valeur ajoutée et de fonctions récréatives au cœur de l’agglomération du Grand Khartoum.L’ensemble de l’article, en partant de l’étude de cas des briqueteries à Khartoum, s’appuie donc sur une méthodologie de croisement des sources : textes législatifs, mémoires universitaires, rapports institutionnels, entretiens et observations de terrain. Cette confrontation apparaît nécessaire pour interroger une critique consensuelle, qui se fonde principalement sur des arguments environnementaux et sanitaires. Elle permet de rappeler l’importance socio-économique de cette activité productive sur laquelle reposent des milliers de personnes, mais aussi de montrer que des enjeux d’aménagement sont au cœur des politiques de fermeture des briqueteries. Leur localisation sur les berges du Nil en fait une cible pour les investisseurs qui souhaiteraient profiter du potentiel touristique et résidentiel de cet espace, comme c’est déjà le cas sur les rives des quartiers de Burri et Manshiya.
  • Langues
    • Français
  • Sujet(s)
  • Droits
    • info:eu-repo/semantics/openAccess .
    • https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/
  • Résultat de :