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« Just got to keep going »

dans Association française d'Etudes Américaines (AFEA)


  • Éditeur(s)
  • Date
    • 2006-05-02T02:00:00Z
  • Notes
    • The Autobiography of Miss Jane Pittman est sous le signe de l’obstacle. Plaçant le récit dans une perspective téléologique dont la fin est, très bibliquement, située au commencement, l’obstacle y est tout à la fois le matériau à partir duquel la subjectivité du personnage se construit, le moteur qui dynamise l’effort de mise en cohérence de la narration, et le moyen pour Gaines, sous couvert d’une tension irrésolue entre historiographie collective et singularité du sujet, de proposer une représentation de l’identité africaine américaine qui n’est pas exempte d’idéologie. Procédant d’un manque originaire à combler, lui-même reflet de l’impossibilité pour l’esclave de s’inscrire dans le temps, comme le rappelleront les hésitations de Ned sur son âge, le roman s’ouvre sur la justification par l’éditeur de son entreprise historiographique : Miss Jane n’est pas dans l’histoire, du moins celle des livres à destination de ses élèves. Premier obstacle à la conscientisation noire que vont permettre de lever, une fois dépassés ses atermoiements, l’enregistrement et la transcription des conversations et confessions de Miss Jane. A partir de ce point de départ, le roman déroule sur plusieurs niveaux une série d’obstacles à surmonter dans une course sans fin vers la liberté, pointée au nord. Sur le plan de l’histoire narrée, les tours, détours et retours de Miss Jane dans les limites de la « Luzana », l’Ohio toujours en tête, dessinent la cartographie d’une impossible liberté, qu’une rencontre de fortune, celle du vieil homme à la fin du premier livre, met éloquemment en image. Miss Jane est prisonnière d’une gangue spatio-temporelle qui, contre la progression même du roman, semble-t-il, la ramène sur ses pas et vers ce statut d’esclave qu’elle voudrait croire obsolète. Sur le plan de la narration, les silences, ellipses, défaillances mnésiques sont autant d’entraves à sa parole. Son discours en porte d’ailleurs la marque, la figure emblématique en étant celle de la répétition que l’on retrouve en bien d’autres lieux que dans les seules écholalies enfantines au début du roman ou les exemples de signifying. Car, dans l’économie du roman, la répétition est moins souvent le tremplin impulsant la resubjectivation, comme dans des figures de style ou des catégories de signification telle que la parodie, que la trace linguistique d’un asservissement. C’est la duplication de l’idem dont il s’agit ici, une duplication que même le passage du temps ne parvient pas à abolir, rendant impossible toute ipséité, l’expérience immédiate de soi et, partant, une conscience de soi distanciée. Obstacle qui peut expliquer la troublante absence de commentaire critique de la part de la narratrice sur les morts qu’elle n’a pas empêchées, ses appels à la soumission, lancés d’abord à l’endroit de Ned puis à Mary Agnes, son aphasie concernant l’humiliation que lui font subir Tee Bob et Timmy, et de façon plus générale sa tendance à subordonner l’affect à l’événement, le sujet au collectif, le féminin au masculin. D’une parole née pour se libérer d’un vide, le roman accoucherait-il d’un texte qui l’y enferrerait plus encore ? Miss Jane serait-elle un personnage et un narrateur domestiqués, brisés, comme les chevaux dont Joe Pittman brisait la résistance ou, sur le même modèle tragiquement ironique, comme les travailleurs noirs que les maîtres des plantations brisaient pour en faire des esclaves ? Narrés et narratifs, linguistiques et stylistiques, conscientiels et affectifs, les obstacles de The Autobiography of Miss Jane Pittman font peut-être plus sens une fois replacés dans la perspective de la perlaboration, terme psychanalytique par lequel on désigne le travail de l’inconscient propre à la cure et la possibilité que le sujet a de surmonter les résistances qu’elle ne manque pas de susciter. En l’occurrence, et c’est peut-être la clé de cette fiction autobiographiante de son auteur, ce working-through semble être moins celui de Miss Jane que celui, conscient et réfléchi, de Gaines lui-même tant il en reste le maître, celui qui en détermine les conditions, les modalités et la finalité. Emergent alors une conception déterministe de l’identité africaine américaine et la représentation d’une femme noire particulière et a-historique : le pilier et le ciment de la communauté, bien loin de la subjectivation réaffirmée qu’en donneraient, par exemple, Morrison et Walker. Relayée par le finalisme du récit, et tout en en révélant la veine idéologique, la liberté entravée de Miss Jane conditionne donc l’existence de l’auteur en tant qu’auteur. Là est l’enjeu.
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