« Le monde se complique. En même temps, il nous presse de toutes parts. Comment le comprendre ?
La musique se désagrège jusqu'au bruit, se veut scientifique avec l'électronique ; la danse fait sauter les cadres de l'opéra ; la sculpture devient lumière ; les écoles de peinture défilent à une vitesse folle ; au théâtre on joue Genet dans les églises ; l'art est une marchandise, on lance un écrivain comme une poudre à laver. Nos formes de vies traditionnelles sont atteintes à leur tour : les villes se transforment en banlieues. L'information de masse brise le monde en morceaux. La matière même n'est plus que formules d'algèbre, ondes magnétiques.
Comment comprendre ?
Un hebdomadaire culturel dispose du temps et de la place nécessaires pour expliquer ces phénomènes. [...]
C'est notre première tâche. La seconde est de susciter l'événement, d'une part en soutenant les efforts originaux des créateurs, en particulier de Suisse française ou alémanique, d'autre part en lançant des idées, ou des enquêtes. Quand, vers 1950, M. Pierre Béguin rajeunit une première fois la Gazette littéraire dont il nous confia la rédaction en chef, il manquait à ce pays un lieu de rassemblement culturel, un foyer de discussions. Nous continuerons, je l'espère, grâce à une brillante équipe de rédacteurs et de collaborateurs, en Suisse et à l'étranger, à jouer longtemps ce rôle. »
(Frank Jotterand, Gazette de Lausanne, 15.12.1966)

La Gazette littéraire, le « mythique » supplément littéraire de la Gazette de Lausanne dirigé pendant vingt-trois ans par Franck Jotterand, n'avait jusqu'à ce jour fait l'objet d'aucune étude. Voilà le manque comblé. Cette enquête aborde non seulement le versant historique de cette aventure journalistique, mais aussi les caractéristiques culturelles, idéologiques ou même sociales présentées par l'hebdomadaire et son animateur.

Cette lecture suscite également la réflexion sur notre époque : les préoccupations de Jotterand et de son temps (le complexe artistique de la Suisse romande par rapport à la France, les tentatives d'émancipation et les élans d'ouvertures, le besoin de soutien-promotion vis-à-vis des organes institutionnels, l'exigence de liberté de l'artiste...) se proposent régulièrement en terre romande, et chaque génération est amenée à trouver ses propres solutions.