En peu de temps, vue de l'intérieur, l'Amérique a changé de visage. Elle a gagné la guerre du Golfe, mais est en train de perdre pied, peu à peu, sur le front intérieur. Et New York, son miroir déformant naturel, est confrontée à l'une des plus graves crises qu'elle ait connue depuis la Dépression des années trente. Education à refaire, système de santé inadapté, infrastructures en panne, insécurité et criminalité en hausse constante, poids de la fiscalité alourdi, dilution du pouvoir politique, chômage et paupérisation de la classe moyenne... En l'espace de trois ou quatre ans, le symbole de la ville-mirage ne se regarde plus qu'à contre-jour.

Pétrie de contradictions, poussant du pied les éclats de la "mosaïque" multi-ethnique tant vantée par son maire, David Dinkins, et qui jonchent le sol de ses ghettos de Harlem et du Bronx, faisant fi d'une cohésion sociale encore plus inexistante qu'ailleurs et de la misère qui, après avoir conquis le tiers de la ville, commence à s'égarer ailleurs, la Grosse Pomme n'en peut plus de rejeter ses pépins.

Pour tenter d'oublier ce goût d'amertume, Big Apple fait sa folle. Elle continue à bâtir d'audacieux gratte-ciel, sans savoir s'ils trouveront preneur, cajole Wall Street, sa boussole qui a perdu le Nord, se presse en foule aux concerts gratuits de Central Park ou du Lincoln Center, arpente frénétiquement Broadway qu'elle ne veut pas abandonner aux seuls marchands d'aventures et aux souteneurs, s'efforce de réhabiliter ses vieux docks, d'encourager les petits entrepreneurs installés dans les quartiers besogneux de Brooklyn ou du Queens, et cultive avec amour la moindre parcelle de convivialité.

Le mythe tient encore !