Avant de devenir «le premier des dreyfusards», Bernard Lazare (1865-1903) est, dans les années 1890, un jeune journaliste aux convictions anarchistes affirmées, et un critique résolument engagé dans la défense de la nouvelle littérature. Ses articles, publiés dans les petites revues littéraires de l'époque comme dans les grands quotidiens parisiens, font rapidement de lui l'un des jeunes critiques les plus représentatifs et les plus aigus de sa génération - «le premier, dira de lui Léon Blum, à apporter un certain ton dans la critique littéraire». Avec lui, en effet, la critique littéraire se définit comme engagée et combative, avant-courrière, pour reprendre le mot de Sainte-Beuve, soucieuse de juger les œuvres non d'après les canons académiques ou selon le succès qu'elles rencontrent auprès du public, mais en fonction de leur force d'innovation, voire de leur capacité de subversion. C'est dans cet esprit que, de février à août 1894, Bernard Lazare donne au Figaro une série de 34 médaillons consacrés aux auteurs contemporains, poètes ou prosateurs, célèbres ou obscurs, académiques ou d'avant-garde. Cette série, complétée par 16 nouveaux portraits, sera publiée en volume en 1895. C'est ce volume, jamais réédité depuis, que nous proposons aujourd'hui à tous ceux qui s'intéressent au paysage foisonnant, contrasté, et étonnamment vivant de la littérature de la fin du XIX^e siècle. Au-delà des jugements lapidaires, parfois injustes mais souvent pénétrants, que Lazare porte sur ses contemporains, ils trouveront ici un panorama lucide et sans complaisance de la «République des lettres» à l'aube du XX^e siècle.