Ce jour-là comme j'en ai l'habitude, j'empruntais à Chaumont la ruelle qui longe la basilique Saint-Jean. C'était une heure matinale, celle où j'aime humer la fraîcheur de l'air vif et l'espoir de la journée qui s'annonce. Au-dessus de ma tête des bâches protégeaient le passant.

L'endroit était périlleux. Je craignais l'obstacle.

Soudain j'entendis le chant de la pierre. Mon coeur tressaillit. Je connaissais cette musique depuis le début de mes plus anciens souvenirs. Elle avait fait partie de mon quotidien depuis l'enfance.

Chaque matin ce chant m'amenait à la vie quand je dormais dans la «chambre du haut» de la maison de mes parents. Ce cri de la pierre, que je venais d'entendre, m'appelait par surprise aux racines qui me fondent.

«Comme j'aurais aimé être tailleur de pierre, pouvoir m'exprimer, sculpter des oeuvres durables en rêvant un monde meilleur...»

Ces rêves d'un matin auraient dû s'enfouir dans les nombreux tiroirs de mon inconscient. Mais ce jour-là, le garagiste qui entretient ma voiture en artiste, m'a donné par hasard un calendrier.

L'illustration du mois de mars, une photo, représentait la porte du presbytère de Pouilly-en-Bassigny. J'y voyais seulement une statue. Je la reconnaissais. Elle ne pouvait avoir été faite que par mon arrière-grand-père. J'en étais certaine au premier regard: Adulphe Toussaint l'avait sculptée.

Sur le fronton de la porte d'entrée, le Bon Pasteur, debout, tenait une brebis placée sur ses épaules. J'avais vu des dessins chez mon père qui représentaient ce motif. J'avais su que mon arrière-grand-père aimait cette allégorie. Je venais de reconnaître le sceau d'Adulphe Toussaint. Je devais retrouver ses oeuvres, écrire quelque chose... Mon père m'aiderait...

Le message était clair. [...] J'allais écrire mon amour des vieilles pierres à partir de ce que je savais de la vie et de l'oeuvre de mon arrière-grand-père que j'admirais depuis longtemps.