A partir d'une documentation solide et souvent inédite, Luc Garcia décrit la rencontre entre deux cultures, l'une occidentale et chrétienne, l'autre marquée par le syncrétisme religieux et philosophique. Au Vietnam comme dans d'autres régions, les missionnaires ont précédé la colonisation française et, après son implantation, ils en ont tiré avantage pour développer l'évangile dans la paix et la sécurité. Mais, pour les Vietnamiens, l'adhésion au christianisme signifie-t-elle pour autant l'abandon de leurs traditions culturelles et religieuses ? Il n'en est rien car ce sont les missionnaires qui ont dû adapter, dans leur politique d'approche et de conquête des coeurs, leur action au milieu vietnamien.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la nouvelle politique des missions définie par le Saint-Siège, condamnant le nationalisme des missionnaires et leur interdisant de cautionner le régime colonial, recommandait d'accélérer la formation d'un clergé autochtone capable de prendre le relais. Le peu d'empressement de la hiérarchie épiscopale française à appliquer les directives pontificales reflète la résistance des missionnaires, hommes marqués encore par l'éducation de leur époque et la difficulté à se départir de leur culture. D'autant que la plupart ne doutaient pas de la pérennité de la puissance de la métropole et, indirectement, de celle de leur présence. Aussi le mouvement religieux de l'après 1945, qui ébranla les vicariats apostoliques dans le contexte général des remises en cause coloniales et de la guerre franco-vietnamienne provoqua-t-il immense étonnement, désarroi et profonde amertume.

L'écriture de l'ouvrage laisse apprécier une belle page illustrée par des missionnaires au caractère souvent original et par de remarquables catholiques vietnamiens. Luc Garcia analyse les moments forts de cette rencontre qui va des années vingt à la fin de la mission dominicaine de Lang Son-Cao Bang en 1960. Il expose la psychologie et le comportement des catholiques qui, discrédités, doivent affirmer leur foi et se défendre contre les accusations d'antipatriotisme et de compromission.