L'énigme christique s'est construite au travers d'une légende, édifiée sur une interprétation des paroles, des gestes et de l'enseignement de Jésus, d'une légende inachevée qui ne cesse de se donner à lire (legendum). Elle s'organise autour de deux événements inouïs, taches aveugles aussi bien d'une pensée qui prend la relève d'une représentation déficiente que d'une foi qui prend la relève d'une pensée impuissante : l'incarnation de l'Homme-Dieu et sa mort-résurection.

Le Jésus des philosophes est d'abord une figure allégorique, exemplaire, archétypique d'une expérience spirituelle, vécue aussi bien sur le mode de la transcendance que de l'immanence. Image de l'Esprit de Dieu, il est aussi le visage de la réalisation spirituelle de Soi.

Le Jésus des philosophes est aussi un symbole plurivalent : celui du lien personnel qui unit l'homme à un Dieu-Sujet qui entre en dialogue avec lui, celui du lien fraternel qui rassemble les hommes entre eux, celui d'un lien essentiel, tissé par une liberté qui lie chaque homme à lui-même et aux autres. Tel est le réseau complexe de liens qui s'est déposé, sous forme de traces, dans notre culture occidentale.

Enfin, le Jésus des philosophes est l'expression d'un paradoxe radical. « Lui, de condition divine, s'est abaissé », pour élever l'homme, trop souvent inhumain, à la hauteur sublime de son humanité. Le devenir-homme de Dieu (kai o logos sarx egeneto : et la Parole est devenue chair, Jean 1,14) re-suscite le devenir-esprit de l'homme (kai klinas tên kephalên paredôken to pneuma : et inclinant la tête, il remit l'esprit : Jean 19,30).