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Les insulaires de la Seine francilienne : villégiateurs un jour, villégiateurs toujours ?

dans Ministère de la Culture

Auteur(s) : Duhau, Isabelle

  • Éditeur(s)
  • Date
    • 2017-11-06T01:00:00Z
  • Notes
    • Depuis la nuit des temps, la rivière est une coupure dans le territoire, un danger et un obstacle. Mais c’est aussi une richesse et une voie de transport. Ainsi la Seine a-t-elle toujours attiré l’homme qui s’installe sur les coteaux encadrant sa vallée alluviale aux terres fertiles. Néanmoins, ses îles demeurent une terra incognita ; les villes anciennes, telles Paris, Nogent-sur-Seine ou Melun en amont, Meulan en aval, qui se sont développées autour d’un noyau central insulaire, restent rares. Cependant, les qualités paysagères des rivages et de ces îles véhiculent très tôt un imaginaire propice à l’implantation d’une villégiature. Les maisons de campagne ont été implantées partout en Île-de-France mais les boucles de la Seine, en aval de Paris, occupent une place incomparable du fait de la proximité des châteaux royaux de Saint-Germain et de Versailles et des splendides paysages fluviaux. L’observation des cartes anciennes permet de comprendre les aménagements des berges du fleuve, de ses îles et de ses coteaux. Les villages accrochés aux pentes descendent jusqu’aux pâturages inondables bordant l’eau. Des centaines de propriétés se succèdent sur les coteaux, face au point de vue. Les maisons sont construites sur la partie haute de la parcelle, tournées vers l’eau afin de jouir du paysage et de la perspective de leurs jardins en pente ou en terrasses descendant vers le rivage. Parfois même, ceux-ci se prolongent par des aménagements jusque dans l’île qui leur fait face. Pour des raisons évidentes, les maisons de campagne totalement construites sur une île sont plus rares. Cet attrait pour les berges et les îles de la Seine croît en accord avec les transformations profondes qu’introduit l’industrialisation à partir du milieu du xixe siècle. Grâce au chemin de fer, de nombreux Parisiens peuvent rejoindre la campagne plus rapidement et plus souvent. Cette villégiature « de bord de ville » prend des proportions jusque-là inimaginables ; elle est à l’origine de l’urbanisation de plusieurs îles sur la Seine : l’île de la dérivation à Carrières-sous-Poissy en 1878, l’île de Migneaux à Poissy en 1903, l’île de Villennes en 1912-1913, ou encore l’île de Vaux avant 1914. Cette villégiature s’adresse aux petits commerçants, aux modestes rentiers et touche jusqu’aux capitaines d’industrie. Tous possèdent ou louent une résidence principale en ville et cohabitent, durant leur séjour campagnard, sur des territoires très proches, avec la foule des amateurs de parties de campagne, employés et autres petites gens, et ceci bien avant la loi de 1906 qui accorde le repos dominical aux derniers à en être privés, les ouvriers. La boucle de Chatou, par exemple, devient aux beaux jours l’une des destinations favorites du petit peuple parisien à la recherche d’une partie de campagne. Quelques commerçants entreprenants installent des guinguettes, vite fameuses, avec bals et locations de bateaux pour le canotage et bains flottants. C’est sur la terrasse de la maison Fournaise que prend place le célèbre Déjeuner des canotiers, peint par Renoir en 1881. À quelques centaines de mètres au sud, la Grenouillère propose sa petite plage, ses canots en location à la journée et son célèbre bal hebdomadaire. Les impressionnistes Monet, Renoir, Pissarro, Berthe Morisot ou Sisley ont immortalisé ces moments de détente et les paysages séquaniens alentours. Leurs œuvres contribuent à forger une certaine idée de la douceur de vivre française aux yeux des touristes qui rêvent à ce passé. Pourtant, Maupassant, dans sa nouvelle « La femme de Paul », évoque une tout autre ambiance, des lieux où règnent la dépravation et la prostitution ! La pollution provenant des rejets industriels oblige ces établissements à fermer dès le tournant du xxe siècle. Les rivages connaissent un nouvel engouement durant l’entre-deux-guerres lorsque les théories hygiénistes popularisent la pratique sportive, la vie au grand air et l’exposition au soleil. Des équipements sportifs sont construits sur les rives du fleuve ou sur ses îles, Physiopolis et la plage de Villennes sur l’île du Platais, à Villennes-sur-Seine par exemple. Cet « âge d’or des loisirs », dont l’image est largement diffusée par les cartes postales, ne dure qu’un temps très limité au regard du phénomène d’urbanisation progressive et continue des rivages. Aujourd’hui, plusieurs îles de la Seine sont encore consacrées aux loisirs. Le caractère inconstructible de la plupart d’entre elles a favorisé, au cours de la seconde moitié du xxe siècle, le développement d’aménagements sportifs et paysagers. Néanmoins, on campe dans l’île de la Commune (Maisons-Laffitte) ou dans celle de Mousseaux. Au début des années 1980, la Grande Île de Bennecourt accueille un lotissement de maisons mobiles implantées sur un terrain de camping-caravaning. Les îles de Mézy et Juziers, aujourd’hui réunies, sont occupées en grande partie par des lotissements de chalets de loisir construits sur pilotis. « Venise à 45 minutes de Paris » vantait la publicité pour le lotissement de l’île de Vaux au début du xxe siècle. L’engouement pour les îles perdure, même si nombre de leurs résidences sont devenues principales. Et pour leurs occupants, regagner leur île chaque soir, c’est un peu partir en vacances tous les jours.
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