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Revue numérique

Penser la fiction

dans Savoirs textes langage - UMR 8163


  • Éditeur(s)
  • Date
    • 2010-03-19T01:00:00Z
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    • Des mythes inventés par Platon aux fables philosophiques de Leibniz, du Pays des Centaures de Husserl à la Terre Jumelle de Putnam, en passant par le récit hobbesien de l’état de nature, jusqu’aux petits romans qui pointillent les belles pages de l’Être et le Néant, nombreux sont les exemples de ce que l’on pourrait appeler le caractère, à la fois, discret et inévitable des fictions philosophiques. Tour à tour utilisée pour illustrer d’une manière particulièrement saillante des thèses philosophiques, ou pour construire des arguments par l’absurde, pour créer des paradoxes ou fournir des contre-exemples, ou encore pour tester et bâtir le cadre d’usage de nouveaux concepts, la fiction semble omniprésente. Et elle semble d’abord s’inscrire au sein du discours philosophique, enchâssée dans des dispositifs heuristiques ou des modèles argumentatifs reconnus de tous temps comme étant à la fois légitimes et efficaces. Parfois, comme dans le cas de Husserl, étudié par P. Cassou-Noguès, elle fait plus que cela : elle devient un mode de donation à part entière – le mode de donation du possible. Mais le philosophe sait pertinemment que la fiction vit aussi d’autres vies, autonomes, en dehors de la philosophie, des vies où elle est soumise à d’autres contraintes et produit d’autres effets. Il y a évidemment la fiction littéraire, laboratoire du possible, certes, où la mimesis est souveraine, mais aussi, comme le montre l’étude de F. Lavocat, de l’impossible, lieu où l’on parle de choses qui n’existent pas, et parfois même de celles qui ne sauraient d’aucune manière exister. Le mouvement est loin d’être unilatéral. Si la philosophie croit parasiter les fictions, la littérature sait lui rendre la monnaie de sa pièce. Puis il y a la fiction ordinaire, celle de la critique, du discours et de l’expérience. Ni utilisée dans le cadre d’un discours philosophique, ni créée par les effets de langue d’un écrivain ou d’un texte, la fiction n’est cette fois-ci que l’objet de référence, mentale ou linguistique, de tout un tas de pratiques et d’expériences ordinaires. De quoi parle-t-on lorsqu’on parle de Sherlock Holmes ? C’est bien Emma Bovary que j’imagine, lorsque en fermant les yeux je crois voir une jeune femme à la peau blanche et les longs cheveux noirs, mourante sur un lit ? Qu’est-ce qui rend vrais les énoncés de la critique littéraire, mais aussi ceux de ces critiques naïfs que nous sommes tous lorsque nous parlons de Sherlock Holmes ou Emma Bovary en croyant nous référer non pas à des individus réels mais bel et bien à des « personnages fictionnels » ? Qu’il s’agisse d’un cadre psychologique-intentionnel ou sémantique-linguistique, dans cette nouvelle vie, les fictions sont ce qui se trouve à l’autre bout de nos mots et de nos pensées, de nos affects et de nos actes d’imagination. « Fictions » est ainsi le nom que l’on donne à ces personnages dont nous pouvons dire sans contradiction – bien qu’au prix d’un certain nombre de restrictions, étudiées dans l’article d’A. Thomasson – qu’ils n’existent pas, mais que, d’une certaine manière, ils sont bel et bien quelque chose. D’où l’importance des études traditionnelles consacrées aux fictions du point de vue de la référence (intentionnelle et sémantique), prolongés mais aussi radicalement remis en question dans les contributions de J. Woods/J. Isenberg et de M. Fontaine/S. Rahman. Mais c’est sans doute encore à la philosophie de boucler la boucle, en se réappropriant toutes ces autres vies de la fiction, en en faisant des objets de réflexion privilégiée. Dans ce dernier usage de la fiction, que l’on pourrait sans doute appeler métaphilosophique, la philosophie ne se sert pas des fictions, elle ne les crée pas, et elle ne se limite pas non plus à en parler ou à s’y référer mentalement, elle en fait l’occasion de revenir sur elle-même, pour repenser le statut des concepts qui lui sont les plus propres (existence, être, individu, esprit, identité, différence, monde etc.). Pour repenser aussi le fait même de son besoin de fictions. Qu’est la fiction pour qu’elle puisse habiter la philosophie, d’une manière si discrète et inévitable ? Et qu’est la philosophie si elle ne semble pas pouvoir faire l’économie des fictions pour penser adéquatement ses concepts les plus « philosophiques » ? C’est à une étude de ces multiples vies de la fiction (philosophique, littéraire, critique, métaphilosophique) et à leurs interactions que les études recueillies dans ce volume sont consacrées. Claudio Majolino From Plato’s invented myths to the philosophical fables of Leibniz; from Husserl’s Land of the Centaurs to Putnam’s Twin Earth; from the Hobbesian account of the state of nature to the little novels that dot the beautiful pages of Being and Nothingness—there are many examples of what one might call the discreet yet inevitable character of philosophical fictions. Alternately employed to illustrate philosophical theses in a particularly salient way, to construct arguments ad absurdum, to create paradoxes or furnish counterexamples, or even to test and build frameworks for using new concepts, fiction appears to be omnipresent. It seems above all to be inscribed in philosophical discourse—enshrined in heuristic devices or argumentative models that have forever been recognized as both legitimate and efficient. And sometimes (as in Husserl’s case, as studied by P. Cassou-Noguès) it does more than this: it becomes a mode of givenness in its own right—the mode of givenness of the possible. But the philosopher knows full well that fiction also lives other lives, autonomously, outside of philosophy—lives where it is subject to other constraints and produces other effects. Obviously there is literary fiction: a laboratory of the possible, to be sure, where mimesis rules supreme, but also (as F. Lavocat’s study shows) of the impossible, where one speaks of things that don’t exist and sometimes even of things that could never in any way exist. The movement is far from being unilateral. If philosophy thinks to parasitize fiction, literature knows to render fiction its due. Then there is ordinary fiction: that of criticism, discourse, and experience. Neither employed in the framework of philosophical discourse, nor created by a text writer’s language effects, fiction in this case is nothing but the object of reference, mental or linguistic, for a whole range of ordinary practices and experiences. What does one speak of when one speaks of Sherlock Holmes? Is it Emma Bovary that I imagine when, closing my eyes, I think I see a young woman with white skin and long black hair, dying on a bed? What makes not only the literary critic’s statements true, but those of the naive critics we all become when we speak of Sherlock Holmes or Emma Bovary, thinking we refer not to real individuals but to “fictional characters”? Whether a psychological-intentional or semantic-linguistic framework, fictions in this new life are what we find at the other end of our words and thoughts, of our affects and our acts of imagination. “Fictions” is thus the name we give to such characters of whom we can say, without contradiction (although at the cost of a certain number of restrictions, as explored in A. Thomasson’s article) that they don’t exist, but that they are, in a certain way, indeed something. Hence the importance of traditional studies devoted to fictions from the point of view of intentional and semantic reference, sustained but also radically called into question by the contributions of J. Woods/J. Isenberg and M. Fontaine/S. Rahman.
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