Depuis un demi-siècle, un problème est au cœur des débats de la critique : quels rapports l'œuvre entretient-elle avec son auteur ? Est-elle un en-soi qui doit lui échapper dès qu'il l'a produite, ou conserve-t-elle avec lui des liens tels qu'elle en est enrichie, approfondie dès qu'on fait mieux que les soupçonner ?

Sans doute la réponse n'est-elle pas la même dans tous les cas. Dans celui des Illustres Françaises, le doute n'est pas permis. Les découvertes qu'on a faites depuis une quarantaine d'années et qui se sont multipliées ces derniers temps ont ouvert d'un seul coup plusieurs chapitres nouveaux de notre histoire littéraire. Les Illustres Françaises n'apparaissent plus seulement comme l'œuvre d'un romancier génial, mais elles sont empreintes de la marque d'un homme qui fut aussi un philosophe d'une audace que Voltaire jugeait «terrible», et un voyageur-reporter sans égal de son temps.

Sans insister ici sur Les Illustres Françaises, qu'on suppose connues du lecteur, on a retracé autant que faire se pouvait, à l'aide de documents parfois nouveaux, le destin de leur auteur ; on s'est surtout attaché à présenter des échantillons homogènes de sa manière dans les différents genres. A travers cette diversité, le lecteur saura bientôt qui était l'anonyme architecte-bâtisseur des Difficultés sur la religion proposées père Male-branche, du Journal de voyage aux Indes orientales et du roman «concertant» sans qui les romanciers du XVIII^e siècle, Prévost, Marivaux, Richardson et Diderot n'auraient pas été tout à fait ce qu'ils ont été.