L'œuvre de Wallace Stevens tient une place majeure à la fois par ses options résolument modernistes et par la transmutation de l'héritage romantique qui s'opère en elle. Les mots «fiction suprême» ne signent pas seulement l'un de ses plus beaux longs poèmes, ils désignent une notion-clé longuement élaborée par l'auteur : substituer une idée poétique de Dieu au credo d'une mythologie chrétienne jugée obsolète. L'intertextualité biblique y résonne comme de très loin et agit en tant que fondement sur le travail conceptuel du poète dans sa volonté de révision et de renouvellement des paroles sacrées.

Elle instaure en elle-même la revendication la plus importante de sa pratique, mais aussi la plus contradictoire. Celle du rôle joué par la poésie en temps de guerre et à l'époque moderne. Celle, donc, du statut du poète et de son engagement dans un monde où l'explication religieuse ne suffit plus à apprivoiser la violence et l'omniprésence de la mort. Cette notion programmatique en appelle deux autres : la réduction des images à l'Idée première et l'acte de foi de la création. Ensemble, elles résument l'essentiel de sa démarche et de sa recherche. Leur mise en forme se décline selon des allégories qui, alliées à la permanence des thèmes ainsi qu'à la rime généralisée de la répétition, construisent la totalité de ses poèmes.

La suprême fiction, finalement, c'est la possibilité de faire descendre le Bien de son trône céleste et de l'instaurer sur Terre. Son «Ange nécessaire» n'est autre que le grand tisserand de notre ordinaire terrestre, sa demeure est la nôtre, et son héros, «celui qui de la répétition est le meilleur maître».