L'Usurier chrétien, un juif métaphorique ?

Comment expliquer la révocation en 1618 du monopole exercé depuis le XIII^e siècle par les prêteurs lombards dans les Pays-Bas, et leur remplacement brutal par les monts-de-piété ? Myriam Greilsammer recherche les motivations de cet acte d'éradication surprenant, tout en remettant en cause l'axiome selon lequel l'établissement des monts-de-piété a représenté un immense progrès économique et social, lié à la modernisation de l'État.

L'histoire des mentalités permet de comprendre que la décision de 1618 est l'aboutissement de la relation conflictuelle des autorités vis-à-vis de l'activité de prêt exercée par les lombards, excommuniés par l'Église mais tolérés par les princes. L'influence dans les Pays-Bas méridionaux de l'idéologie économique franciscaine, visant à marginaliser les Juifs, a été décisive dans ce processus. La définition franciscaine des emplois « chrétiens » de l'argent a non seulement mené en Italie à partir de 1463 à la création des Monti di Pieta, à la recrudescence des accusations de crime rituel et ensuite à la relégation des Juifs dans les ghettos, mais elle a également scellé dans les Pays-Bas le sort des prêteurs chrétiens, « Juifs métaphoriques » de ces régions vides de Juifs depuis leur massacre au XIV^e siècle.

L'histoire des lombards doit être intégrée dans le processus généralisé d'uniformisation à outrance de la société de la Contre Réforme dans les Pays-Bas espagnols. Cette volonté se renforce dans la seconde moitié du XVI^e siècle, s'attaquant à toute entité autonome économique, politique, religieuse ou culturelle. Peu importe le caractère indispensable des activités de prêt de ces Chrétiens : l'équation entre les Juifs, l'usure et les lombards, considérés depuis le XII^e siècle comme des « Juifs baptisés », exigeait la totale suppression de leurs activités bancaires. Il apparaît ainsi que l'interdiction des activités des lombards est un symptôme jusqu'ici ignoré de l'intériorisation de l'idéologie antisémite à l'aube des Temps modernes.