Ni catalogue, ni documentation sur une scène artistique, la publication Sources présente dix inserts d'artistes réalisés spécifiquement pour l'espace de ce livre, et leur adjoint à chacun un texte qui avait déjà été publié et qui est ici rétroactivement présenté comme leur source.

Cécile Dauchez, Ymane Fakhir, Hayan Kam Nakache et Cristof Yvoré ont pensé une forme nouvelle, à partir d'oeuvres déjà existantes, Michèle Sylvander et Jean-Baptiste Sauvage à partir d'oeuvres en préparation. Humi Yan, Colin Champsaur, Denis Prisset et Stéphane Le Mercier l'ont conçue à cette occasion.

Aux textes qui auraient proposé l'analyse de ces inserts sont substitués, a posteriori et in extenso, autant de références auxquelles leurs notes de bas de page auraient renvoyé.

Choisies par l'éditeur, ces « sources » sont celles auxquelles il a recouru à l'occasion de leur découverte. Quand aux sources des artistes, c'est sous forme de pages qu'elles sont citées, transformées en marque-pages dans l'espace du livre. Alors la page et le texte coupés appellent à fermer ce livre et à en ouvrir d'autres. Enfin, et parce que ces associations ne sont pas tant expliquées qu'annoncées, le sommaire est devenu couverture et des posters tiennent lieu de têtes de chapitre.

Ce parti-pris en forme d'herméneutique inversée suggère qu'à vouloir remonter à une source, on la trouble - et qu'alors l'économie éditoriale du livre s'en trouve bouleversée.

Il est de surcroît appliqué à des oeuvres d'artistes choisies en fonction de leur puissance d'auto-affirmation et non de citation, de leur capacité à s'affirmer comme étant à elles-mêmes leurs propres sources. Il s'agira alors de résister à la logique de rapprochement qui préside à toute découverte d'une oeuvre, tentation qui, sous couvert d'explication, ramène l'inconnu au connu et en amoindrit la possible déflagration.

On voudrait ainsi, brutalement, proposer à la fois lecture et contemplation de l'oeuvre, sans que l'une ne prévale sur l'autre, sans imposer les raisons de ces rapprochements, mais, au contraire, permettre que d'autres liens soient tissés.

À la différence de l'origine, unique, et dont le dévoilement est illusoire, il n'y a de sources qu'au pluriel : leur recension relève alors d'une poétique de la bibliographie. Les sources ici proposées croisent les questions des formes possibles de l'âme et du corps (Jean-Baptiste Gourinat, Charles Wolfe), de la compréhension de la subjectivité (Sandra Laugier, Ernst Bloch), de l'engagement (Pierre Zaoui, Georg Lukács), et des philosophies dont on n'a pas plus fini que commencé de mesurer la portée (Henri Poincaré, Manuel de Landa). Toutes, à leur manière, abordent la question des rapports possibles aux Anciens, la question même des « sources » (Peter Sloterdijk, Jackie Pigeaud).

Puisque c'est la source de ce livre, on relira la très belle scène de la loterie pendant le banquet de Trimalchion dans le Satiricon du marseillais Pétrone (§56) : aux mots piochés au hasard par les invités correspondent des lots dont on pourrait croire qu'ils sont motivés par des rapprochements absurdes ou arbitraires.

Si la note de bas de page du traducteur explique les jeux de mots qui les justifient, elle n'épuise peut-être pas complètement la puissance poétique du texte.