Des résultats auxquels étaient parvenues à l'époque les sciences de la nature, Diderot a tiré l'idée très simple de la présupposition la plus générale des sciences, à savoir l'existence de la nature matérielle, de son devenir, de ses lois. Cette découverte du réel, qui a relégué dans le vaguement affectif la plupart des proses descriptives antérieures, il n'a cessé de l'approfondir, de la reconsidérer, de la reformuler. Il a pour cela rompu avec le principe classique de la distinction des genres et s'est fait créateur de formes littéraires. Ses écrits (articles, contes, nouvelles, romans, mélodrames, dialogues) constituent comme un exposé littéraire enjoué du matérialisme. Il y aborde notamment les rapports du réel et de l'imaginaire, du contenu et de la forme, non sans problèmes et contradictions. Mais ces problèmes continuent aujourd'hui encore de dominer l'art et sa théorisation. Et du fait même de ses contradictions, Diderot, qui avait dépassé son temps, est resté on ne peut plus actuel et n'a cessé d'être jugé comme tel, autrement dit d'être discuté et combattu tant par les «gens en place» (de Taine à Barrès) que par la critique marxiste (encore que son génie dialectique ait été reconnu par Engels). Celle-ci, sans avoir à abandonner sa rigueur objective, en se gardant de la confronter par trop aux caractères dominants de notre époque, peut et doit «prendre en sympathie» une telle œuvre où tend à apparaître un devenir fécond, riche de conflits entre le passé et le futur, l'accompli et le virtuel, le mort et le vivant.